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Jonathan Crary, 24/7. Le capitalisme à l’assaut du sommeil

La thèse de Jonathan Crary tient en un sigle, en une abréviation-slogan qui clignote déjà dans les rues de Londres ou de Manhattan pour vanter la continuité d'activités non-stop : “ Open 24/7 ”. Opérer en permanence, 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7, tel est le mot d'ordre du capitalisme contemporain. C'est aussi l'idéal d'une vie sans pause, active à toute heure du jour et de la nuit, dans une sorte d'état d'insomnie globale. Cet essai retrace l'histoire de ce processus de grignotage du temps, qui n'a cessé de s'intensifier à la période moderne et contemporaine. Où l'on apprend qu'un adulte américain dort aujourd'hui en moyenne 6 heures et demie par nuit, contre 8 heures pour la génération précédente, et 10 heures au début du XXe siècle. Crary documente ces mutations temporelles pour en critiquer les effets dévastateurs. Si personne ne peut réellement consommer, jouer, travailler, bloguer, télécharger ou chater en continu 24 heures sur 24, aucun moment de la vie n'est plus désormais exempt de telles sollicitations. Cet état continuel de frénésie connectée érode la trame de la vie quotidienne, et, avec elle, les conditions même de l'action politique. Les exigences du consumérisme généralisé convergent en cela avec les dispositifs de surveillance et de contrôle. Dans ce tableau, le sommeil apparaît, dans sa nécessité physiologique comme dans ses élans oniriques, comme l'ultime borne posée à la colonisation capitaliste de la vie quotidienne. D'où un éloge paradoxal du sommeil et du rêve, éminemment subversifs dans leurs capacités d'arrachement à un présent tout aussi frénétique qu'inerte, englué dans des routines accélérées. Jonathan Crary signe un essai brillant, érudit et accessible, qui combine références philosophiques, analyses de films, d'œuvres d'art, d'expériences scientifiques ou de romans populaires afin d'esquisser une anthropologie critique du contemporain.

Sa conclusion, tout aussi révolutionnaire qu'inattendue, se résumerait ainsi : travailleurs de tous pays, reposez-vous!

Source: https://www.babelio.com/livres/Crary-247--Le-capitalisme-a-lassaut-du-sommeil/612354

Étant donné sa profonde inutilité et son caractère essentiellement passif, le sommeil, qui a aussi le tort d’occasionner des pertes incalculables en termes de temps de production, de circulation et de consommation, sera toujours en butte aux exigences d’un univers 24/7. Passer ainsi une immense partie de notre vie endormis, dégagés du bourbier des besoins factices, demeure l’un des plus grands affronts que les êtres humains puissent faire à la voracité du capitalisme contemporain. Le sommeil est une interruption sans concession du vol de temps que le capitalisme commet à nos dépens. La plupart des nécessités apparemment irréductibles de la vie humaine – la faim, la soif, le désir sexuel et, récemment, le besoin d’amitié – ont été converties en formes marchandes ou financiarisées. Le sommeil impose l’idée d’un besoin humain et d’un intervalle de temps qui ne peuvent être ni colonisés ni soumis à une opération de profitabilité massive – raison pour laquelle celui-ci demeure une anomalie et un lieu de crise dans le monde actuel. Malgré tous les efforts de la recherche scientifique en ce domaine, le sommeil persiste à frustrer et à déconcerter les stratégies visant à l’exploiter ou à le remodeler. La réalité, aussi surprenante qu’impensable, est que l’on ne peut pas en extraire de la valeur.

Les assauts contre le temps de sommeil se sont intensifiés au cours du XXe siècle. L’adulte américain moyen dort aujourd’hui environ six heures et demie par nuit, soit une érosion importante par rapport à la génération précédente, qui dormait en moyenne huit heures, sans parler du début du XXe siècle où – même si cela paraît invraisemblable – cette durée était de dix heures.

Lu grâce au conseil ironique de mon excellent collègue et ami J.E. qui connaît mes phases insomniaques et mes tendances politiques.

J'ai beaucoup aimé ce petit bouquin qui aurait toutefois gagné à être plus étoffé. Crary, historien d'art, passe parfois rapidement sur des idées intéressantes.

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  • Dernière modification : 2020/02/11 06:36
  • de radeff