Victor Klemperer, LTI, la langue du IIIe Reich
Résumé
Le philosophe allemand Victor Klemperer s’attacha dès 1933 à l’étude de la langue et des mots employés par les nazis. En puisant à une multitude de sources (discours radiodiffusés d’Adolf Hitler ou de Joseph Paul Goebbels, faire-part de naissance et de décès, journaux, livres et brochures, conversations, etc.), il a pu examiner la destruction de l’esprit et de la culture allemands par la novlangue nazie. En tenant ainsi son journal, il accomplissait aussi un acte de résistance et de survie. En 1947, il tirera de son travail ce livre : LTI, Lingua Tertii Imperii, la langue du IIIe Reich, devenu la référence de toute réflexion sur le langage totalitaire. Sa lecture, à près de soixante-dix ans de distance, montre combien le monde contemporain a du mal à se guérir de cette langue contaminée, et qu’aucune langue n’est à l’abri de nouvelles manipulations.
Note Fred
LTI pour Lingua tertii imperii.
Un livre absolument passionnant écrit par un philologue allemand juif (j'ai essayé de mettre cela dans un ordre qui, je l'espère, lui aurait plu), cousin du célèbre chef d'orchestre, qui a tenu un journal de philoloque pendant la montée et toute la durée du nazisme.
Effrayant, notamment par les ressemblances avec les crypto-fachos d'aujourd'hui, et leur dévoiement de langage “anti-système” (ça faisait déjà fureur en 33).
Victor Klemperer vers 1930: un homme fin et délicat
Comme quoi la Novlang d'Orwell n'est pas un concept entièrement infondé.
J'ai particulièrement apprécié l'honnêteté quasi-rousseausiste de Klemperer, tant lorsqu'il confesse son hubris face à la bêtise de certains juifs, qui supportent Hitler, que lorsqu'il avoue sa bêtise face à une jeune fille qui sait, elle, vox populi, mieux décrypter les messages codés du Reich.
Extrait
Le Troisième Reich n’a forgé, de son propre cru, qu’un très petit nombre des mots de sa langue, et peut-être même vraisemblablement aucun. La langue nazie renvoie pour beaucoup à des apports étrangers et, pour le reste, emprunte la plupart du temps aux Allemands d’avant Hitler. Mais elle change la valeur des mots et leur fréquence, elle transforme en bien général ce qui, jadis, appartenait à un seul individu ou à un groupuscule, elle réquisitionne pour le Parti ce qui, jadis, était le bien général et, ce faisant, elle imprègne les mots et les formes syntaxiques de son poison, elle assujettit la langue à son terrible système, elle gagne avec la langue son moyen de propagande le plus puissant, le plus public et le plus secret. (39)